mercredi 8 février 2012

Cachez ces victimes que je ne saurais voir!


Marcela Iacub vient de nous  gratifier d’un énième opus dans sa chronique pour Libération, qui mérite que l’on s’y attarde tant il dévoile le fond définitivement réactionnaire de sa pensée.
La posture est efficace. Comment pourrait-on ainsi taxer de conservatrice une femme, qui au fil de ses nombreux écrits, ne cesse de prôner une sexualité libre, multiple, qui ne dépendrait que du choix de chacun.

Conservateur se dit de quelqu’un qui « conserve, s’efforce de garder dans le même état, protège quelque chose. »
Tout part de là.
Marcela Iacub s’est trouvée une place dans ce monde qui doit lui convenir très bien, pour lutter à ce point obsessionnellement contre tout changement. Il n’est pas jusqu’à cette aversion qu’elle manifeste en tous lieux pour le mot « victime ».

Tout serait donc pour le mieux dans ce meilleur des mondes-là, qui voudrait que les femmes violées distribuent des paires de claques plutôt que de dénoncer leur agresseur. Un monde où il suffirait qu’une prostituée dise non pour ne plus l’être.

C’est ainsi qu’elle affirme que si « nous nous acharnions à faire disparaître, à l’instar de la prostitution, l’ensemble des activités ou des destins que nous ne souhaitons pas pour notre fille, nous vivrions dans des sociétés qui ressembleraient à des prisons ou à des camps de concentration. »
Tout est dit. Il n’y aurait donc pas plus grand autoritarisme que de vouloir agir sur les situations d’oppression.

L’ennui avec Mme Iacub c’est qu’elle érige son opinion personnelle en analyse, sans jamais l’étayer par autre chose que sa morale libérale, et fait de sa situation personnelle l’étalon de la condition humaine.

Une récente étude vient de nous parvenir, menée par Evelien Tonkens, sociologue à l’Université d’Amsterdam, qui dresse le bilan désastreux de la législation prostitutionnelle aux Pays-Bas.
Il y apparaît que 98% des 6000 « travailleuses » derrière les vitrines et dans les salons de massage du quartier rouge disent exercer leur activité sous la contrainte. 220 000 clients les visitent en moyenne par an.
D’autres études avant celle-ci, montrent que la plupart des personnes prostituées ont commencé alors qu’elles étaient mineures et que 80% d’entre elles ont subi des violences graves souvent dès l’enfance.


Les vrais défenseurs des libertés ne sont pas ceux qui brandissent la liberté sexuelle des femmes, bien qu’ils la défendent, mais ceux qui sont sur le terrain, collectent des chiffres, lisent les études scientifiques, s’appuient sur les enquêtes internationales sérieuses qui montrent que partout où la prostitution a été légalisée, la protection des femmes est en recul.
Qu’il s’agisse de l’Allemagne, des Pays-Bas comme de l’Australie, on a pu que constater la recrudescence des bordels légaux et illégaux, l’explosion des chiffres du trafic humain pour fournir toujours plus de corps aux appétits des clients, encouragés à consommer puisque c’est légal.
Il est frappant que la Suède abolitionniste compte 1500 personnes prostituées pour 9 millions d’habitants, tandis que l’Allemagne en compte 400 000 pour 82 millions, soit 30 fois plus en proportion.
Quant aux conditions de travail, les mêmes sources démontrent que la réglementation des bordels n’a en rien davantage protégé les femmes contre les violences qui s’y exercent.

Que faut-il entendre alors par liberté individuelle ? Celle, acquise, impérieuse, sacrée des nanti(e)s, des déjà-libéré(e)s ou bien celle à conquérir des moins chanceux, de ceux qui n’ont pas le choix.
Marcela Iacub aurait-elle justifié l’esclavage au motif que les esclaves ne savaient pas être libres ?

En octroyant un statut légal aux prostituées et des droits sociaux, il s’agit en réalité de rendre toujours plus de corps disponibles, prêts à l’emploi, tout en limitant les risques de ceux à qui cela profite.
Ce n’est pas sans rappeler le temps des colonies dont certains nostalgiques se plaisent à rappeler les grandes campagnes de vaccinations en direction de la main d’œuvre indigène. Beaucoup y virent un progrès pour les hommes et la liberté d’asservir y trouva un boulevard.

Car s’il n’y a pas de victimes alors pourquoi vouloir que ça change ? La liberté, érigée en valeur suprême, aveugle aux conditions de vie, aux déterminismes de toutes sortes, aux rentes de situations, aux reproductions sociales de richesse comme de misère, ne vise t-elle pas à nous faire croire que toute révolte est inutile ?

En affirmant par principe que les femmes violées exagèrent en voyant le viol partout et en qualifiant de puritaines ou de castratrices celles qui luttent pour la disparition de la prostitution, Mme Iacub enferme le récit d’une réalité bien plus aliénante que libératrice, qu’elle ne veut pas voir.
Elle n’a que faire des victimes pourtant réelles et légion et c’est bien pour cela qu’elle évacue le mot. Elle préfère nous parler de destin. Et c’est ainsi le principe même d’évolution qui verrait toutes les femmes gagner en liberté par leur combat, qui est en fait pourfendu.

Se faisant, elle agit exactement comme un agresseur qui exige l’abandon de toute résistance et le silence, et qui se fait croire en les obtenant que sa victime y consent.
Et tout comme lui, elle actionne le levier de la culpabilité.
Et cela va loin, quand dans son dernier texte, on lit que les femmes abolitionnistes qui brandissent l'argument selon lequel personne ne voudrait de la prostitution pour sa fille, sont de bien piètres mères pour vouloir ainsi modeler la vie de leurs enfants.
En réduisant ainsi des femmes qui défendent leurs opinions, à leur sacro-saint sentiment maternel, ne vient-elle pas de balayer d’une plume bien peu progressiste, 50 ans de luttes pour l’émancipation des femmes ?

L’objectif du combat abolitionniste n’est aucunement d’interdire les prostituées. Pas plus que la lutte contre la pauvreté est un combat contre les pauvres. C’est bien tout le contraire. Dans les deux cas, il s’agit d’agir pour que la prostitution comme la pauvreté cessent d’être la ligne d’horizon de ceux et celles qui sont libres de ne pas choisir leur condition.

Les dénoncer, est-ce faire preuve de moralisme ou de progrès ?

www.fondationscelles.org 
www.pourunesocietesansprostitution.org/Le-Mouvement-du-Nid

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