vendredi 24 août 2012

Les Pussy Riot. Ceci n'est pas du féminisme.


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La semaine dernière, la condamnation de trois des membres du groupe anarcho-punk est tombée, lourde et attentatoire à la liberté d’expression. Une décision qui a provoqué, à juste titre, l’indignation de la communauté internationale face à la nouvelle démonstration d’une justice à la solde d’un pouvoir autoritaire tout autant que patriarcal.


« L’affaire des Pussy Riot pose la question du lien entre le pouvoir russe et l’Eglise » se contente cependant de titrer Le Monde. Certes, mais il me semble que la mobilisation inconditionnelle, le bruit assourdissant du soutien au groupe - la presse, le monde politique, des personnalités multiples, sur le net et dans la rue tendu-e-s « comme un seul homme » - en pose une autre. Celle du silence sidéral, et en particulier dans le mouvement féministe,  sur la forme que prend l’activisme des Pussy Riots, au travers notamment de leur participation au groupe d’art dit révolutionnaire Voïna (« guerre » en russe).

Crée en 2007 par  deux hommes, Voïna s’illustre en effet à coups d’interventions choc dans l’espace public, dont on pourrait dire pour certaines qu’elles s’accomplissent sur le dos des femmes, si elles ne passaient pas par leurs orifices.
Entre autres, un happening en forme de partouse contre Medvedev dans une pièce du Musée national de biologie remplie pour l’occasion d’ours empaillés (« Medved » signifie « ours » en russe). Voïna offrant au public de voir les hommes du groupe sodomiser leurs camarades femmes accroupies avant d’infliger la même chose aux ours (on goûtera l’association). Avec pour slogan : « j’encule Medvedev ».
Ou encore, une action tout aussi rebelle et artistique dans un supermarché, où la femme d’un leader du groupe s’enfonce un poulet cru dans le vagin, tandis que les hommes brandissent devant les caméras du service de sécurité composé d’hommes, des pancartes indiquant « fuck whoring yourself » ! Le tout en présence d’un enfant d’à peine trois ans.

A quand la mise en scène d’un viol en réunion, au cri de « Nique l’Etat ! », ou de « Poutine, la pute ».

De grands hommes que ces révolutionnaires qui en guise de subversion reconduisent les codes patriarcaux les plus éculés de la pornographie et de la prostitution. Faisant de la pénétrabilité des femmes, faites objets, le symbole de leur puissance en lutte.
Voïna, des hommes qui parlent aux hommes, donc, leurs verges en étendard, comme celle peinte, lors d’une autre de leurs actions mixtes, sur un pont basculant situé en face des anciens bureau du KGB. Particulièrement parlant ce pont ainsi paré, qui lorsqu’il se soulève magnifie l’érection masculine en guise de défi aux autorités.

« Révolution » mais alors au premier sens du terme :
Révolution, sens 1 : nom féminin, se disant de la rotation d’un corps autour de son axe central (Universalis)

Avec ce cynisme à peine masqué que revêt aujourd’hui la prospérité patriarcale partout où l’égalité des sexes est dans les lois à défaut d’être dans les faits. 
Celui-la même qui consiste à prôner la libération sexuelle au travers des canons ancestraux de la soumission des femmes, en se délectant de l’intériorisation par les femmes elles-mêmes des pires formes de leur agression.

C’est pourquoi, comme féministes, on ne saurait soutenir les Pussy Riot, sans se préoccuper de leurs manipulation et humiliation par leurs propres camarades. Sans mettre en question le battage des médias de masse généralement si peu enclins à relayer les luttes féministes. Et qui, en toute bonne conscience, érigent les Pussy riot en icônes modernes de la cause féministe, tout en taisant la violence et la haine des femmes véhiculées par les actions phallocrates de Voïna.

Faut-il que la lutte des femmes ne soit entendue qu’au travers du retournement de celle-ci contre elles-mêmes ?
Je pense en particulier au succès médiatique des SlutWalk, ces marches dites féministes où les femmes défilent les seins nus, parfumant d’un air de fête les relents misogynes qui remontent des égouts de l’Histoire. Car de tout temps,  la mise à nue des femmes en place publique a été une marque de déshonneur. Un châtiment.
Depuis l’époque biblique, où les juifs exposaient les femmes adultères complètement nues quand au moyen-âge en Occident, on leur dévoilait les seins. A la Libération, en France, où le peuple soudain massivement résistant livre des femmes nues à l’opprobre des vainqueurs.

Faut-il que les femmes soient encore à ce point sous contrôle, sacrifiant aux attentes de l’injonction sexiste, pour reprendre à leur compte, cette exposition de leur nudité dont aujourd’hui, les publicitaires, les pornographes et les proxénètes font leurs choux gras.

Il n’est pas jusqu’au choix du nom du groupe, « Pussy » (« chatte » pour sexe féminin, en anglais) dont on sait la charge pornographique, témoignant aussi d’un féminisme qui pour être sincère, n’en reste pas moins impensé par ses membres au-delà du seuil de leur propre conditionnement.

Mais J’entends déjà, du fin fond de la plaine libérale, galoper l’accusation de puritanisme, de moralisme liberticide et de victimisation. Anathème bien pensant, plein de ce déni des violences qui rassure tant les hommes agresseurs, les clients de la prostitution et les mateurs de porno, en entretenant une tragique confusion entre libération sexuelle et violences faites aux femmes.
En attendant, les Pussys Riots ont beau singer les codes machistes au son des guitares, maniant cagoules et ceinturons pour venger leur condition de femmes, c’est bien par leurs fesses et leurs vagins que passe la rengaine révolutionnaire des hommes de Voïna. Si je ne voulais prendre aucun risque, je parierais bien sur la tête de mes enfants qu’ils changeraient de chanson s’il s’agissait de se faire sodomiser par des femmes ou de s’auto-pénétrer d’un saucisson industrie,l pour la bonne cause.


Ne nous y trompons pas, les Pussy Riots ne sont pas seulement victimes de la violence d’Etat, mais tout autant de l’annexion pornifiée de leur combat par leurs propres compagnons d’armes. Comme toutes les femmes le sont de la validation, aux fins de féminisme, du recours aux représentations les plus attentatoires à leur dignité et à leur liberté.

Aucune fin ne sort indemne de tels moyens qui partout et toujours, ont fait le lit de la domination masculine.
En choisissant de l’ignorer, c’est dans les beaux draps de ce compost délétère que nous nous empêtrons. Et dont on ne pourra s’étonner qu’il ait enfanté, peu de temps avant la condamnation des Pussy Riots, la décision par le tribunal de Khimki à Moscou d’infliger les mêmes deux ans de prison à Igor Kondratiev, violeur en série[2].





[1] Titre tiré du seul article de fond produit sur la question, http://www.feministes-radicales.org/2012/08/21/pussy-riot-whose-freedom-whose-riot et donc ce post est un écho en langue française.


[2] Le Monde, mercredi 22 août 2012.