La
semaine dernière, la condamnation de trois des membres du groupe anarcho-punk
est tombée, lourde et attentatoire à la liberté d’expression. Une décision qui
a provoqué, à juste titre, l’indignation de la communauté internationale face à
la nouvelle démonstration d’une justice à la solde d’un pouvoir autoritaire tout
autant que patriarcal.
« L’affaire
des Pussy Riot pose la question du lien entre le pouvoir russe et
l’Eglise » se contente cependant de titrer Le Monde. Certes, mais il me
semble que la mobilisation inconditionnelle, le bruit assourdissant du soutien
au groupe - la presse, le monde politique, des personnalités multiples, sur le net
et dans la rue tendu-e-s « comme un seul homme » - en pose une autre.
Celle du silence sidéral, et en particulier dans le mouvement féministe, sur la forme que prend l’activisme des
Pussy Riots, au travers notamment de leur participation au groupe d’art dit
révolutionnaire Voïna (« guerre » en russe).
Crée
en 2007 par deux hommes, Voïna s’illustre
en effet à coups d’interventions choc dans l’espace public, dont on pourrait
dire pour certaines qu’elles s’accomplissent sur le dos des femmes, si elles ne
passaient pas par leurs orifices.
Entre
autres, un happening en forme de partouse contre Medvedev dans une pièce du
Musée national de biologie remplie pour l’occasion d’ours empaillés (« Medved »
signifie « ours » en russe). Voïna offrant au public de voir les
hommes du groupe sodomiser leurs camarades femmes accroupies avant d’infliger
la même chose aux ours (on goûtera l’association). Avec pour slogan : « j’encule
Medvedev ».
Ou
encore, une action tout aussi rebelle et artistique dans un supermarché, où la
femme d’un leader du groupe s’enfonce un poulet cru dans le vagin, tandis que
les hommes brandissent devant les caméras du service de sécurité composé
d’hommes, des pancartes indiquant « fuck whoring yourself » ! Le
tout en présence d’un enfant d’à peine trois ans.
A
quand la mise en scène d’un viol en réunion, au cri de « Nique
l’Etat ! », ou de « Poutine, la pute ».
De
grands hommes que ces révolutionnaires qui en guise de subversion reconduisent
les codes patriarcaux les plus éculés de la pornographie et de la prostitution.
Faisant de la pénétrabilité des femmes, faites objets, le symbole de leur
puissance en lutte.
Voïna,
des hommes qui parlent aux hommes, donc, leurs verges en étendard, comme celle
peinte, lors d’une autre de leurs actions mixtes, sur un pont basculant situé
en face des anciens bureau du KGB. Particulièrement parlant ce pont ainsi paré,
qui lorsqu’il se soulève magnifie l’érection masculine en guise de défi aux
autorités.
« Révolution » mais
alors au premier sens du terme :
Révolution, sens 1 : nom féminin, se disant de la
rotation d’un corps autour de son axe central (Universalis)
Avec
ce cynisme à peine masqué que revêt aujourd’hui la prospérité patriarcale partout
où l’égalité des sexes est dans les lois à défaut d’être dans les faits.
Celui-la
même qui consiste à prôner la libération sexuelle au travers des canons
ancestraux de la soumission des femmes, en se délectant de l’intériorisation
par les femmes elles-mêmes des pires formes de leur agression.
C’est
pourquoi, comme féministes, on ne saurait soutenir les Pussy Riot, sans se
préoccuper de leurs manipulation et humiliation par leurs propres camarades.
Sans mettre en question le battage des médias de masse généralement si peu
enclins à relayer les luttes féministes. Et qui, en toute bonne conscience, érigent
les Pussy riot en icônes modernes de la cause féministe, tout en taisant la violence
et la haine des femmes véhiculées par les actions phallocrates de Voïna.
Faut-il
que la lutte des femmes ne soit entendue qu’au travers du retournement de celle-ci
contre elles-mêmes ?
Je
pense en particulier au succès médiatique des SlutWalk, ces marches dites
féministes où les femmes défilent les seins nus, parfumant d’un air de fête les
relents misogynes qui remontent des égouts de l’Histoire. Car de tout temps, la mise à nue des femmes en place
publique a été une marque de déshonneur. Un châtiment.
Depuis l’époque biblique, où les
juifs exposaient les femmes adultères complètement nues quand au moyen-âge en
Occident, on leur dévoilait les seins. A la Libération, en France, où le peuple
soudain massivement résistant livre des femmes nues à l’opprobre des vainqueurs.
Faut-il que les femmes soient encore
à ce point sous contrôle, sacrifiant aux attentes de l’injonction sexiste, pour
reprendre à leur compte, cette exposition de leur nudité dont aujourd’hui, les publicitaires, les pornographes et
les proxénètes font leurs choux gras.
Il
n’est pas jusqu’au choix du nom du groupe, « Pussy »
(« chatte » pour sexe féminin, en anglais) dont on sait la charge
pornographique, témoignant aussi d’un féminisme qui pour être sincère, n’en
reste pas moins impensé par ses membres au-delà du seuil de leur propre conditionnement.
Mais
J’entends déjà, du fin fond de la plaine libérale, galoper l’accusation de puritanisme,
de moralisme liberticide et de
victimisation. Anathème bien pensant, plein de ce déni des violences qui
rassure tant les hommes agresseurs, les clients de la prostitution et les
mateurs de porno, en entretenant une tragique confusion entre libération
sexuelle et violences faites aux femmes.
En
attendant, les Pussys Riots ont beau singer les codes machistes au son des
guitares, maniant cagoules et ceinturons pour venger leur condition de femmes,
c’est bien par leurs fesses et leurs vagins que passe la rengaine
révolutionnaire des hommes de Voïna. Si je ne voulais prendre aucun risque, je
parierais bien sur la tête de mes enfants qu’ils changeraient de chanson s’il
s’agissait de se faire sodomiser par des femmes ou de
s’auto-pénétrer d’un saucisson industrie,l pour la bonne cause.
Ne
nous y trompons pas, les Pussy Riots ne sont pas seulement victimes de la
violence d’Etat, mais tout autant de l’annexion pornifiée de leur combat par
leurs propres compagnons d’armes. Comme toutes les femmes le sont de la
validation, aux fins de féminisme, du recours aux représentations les plus
attentatoires à leur dignité et à leur liberté.
Aucune
fin ne sort indemne de tels moyens qui partout et toujours, ont fait le lit de
la domination masculine.
En
choisissant de l’ignorer, c’est dans les beaux draps de ce compost délétère que
nous nous empêtrons. Et dont on ne pourra s’étonner qu’il ait enfanté, peu de
temps avant la condamnation des Pussy Riots, la décision par le tribunal de
Khimki à Moscou d’infliger les mêmes deux ans de prison à Igor Kondratiev, violeur
en série[2].
[1]
Titre tiré
du seul article de fond produit sur la question, http://www.feministes-radicales.org/2012/08/21/pussy-riot-whose-freedom-whose-riot
et donc ce post est un écho en langue française.
[2] Le Monde, mercredi 22 août
2012.