samedi 14 avril 2012

Le droit à la violence sexuelle


Dans sa dernière chronique pour Libération, « Et si le crime était sexuel »  du 7 avril 2012, Marcela Iacub poursuit son grand œuvre. Celui qui consiste à réhabiliter ce qu’elle nomme les déviances sexuelles comme une expression parmi d’autres de la sexualité, légitime en soi puisque propre à la nature humaine, et à ce titre injustement brocardée par une société puritaine et castratrice.

Si Mohammed Merah, plutôt que de flinguer ses victimes, les avait violées, nous dit-elle, les réactions auraient été bien différentes.
Comme meurtrier, Merah s’est fait  l’écho de la haine qui est le propre de l’homme, nous impliquant avec lui dans notre commune humanité.
Comme violeur, il n’aurait plus été qu’un monstre étranger à nous-mêmes sans autre forme de procès. Preuve en est, le sort des pédophiles, mis au ban de la société.

Comme souvent, avec Marcela Iacub, l’hypothèse de départ semble séduisante. Mais c’est au prix d’insidieux glissements fort dangereux pour cette humanité dont elle appelle de ses vœux la libération sexuelle.

A première vue, en effet, Marcela Iacub semble avoir raison. Le traitement notamment médiatique des viols en série et autres scandales de pédophilie, leur réception dans l’opinion publique, montrent combien la figure du monstre empêche de penser.
Mais notre connivence s’arrête là.
Car en réalité nous ne parlons pas de la même chose.
Si le monstre est un empêcheur de tourner en rond c’est parce que dans leur écrasante majorité, les violeurs ne sont pas ceux que l’on croit. Ils ne sont ni fous, ni malades mentaux, ni hirsutes, ni surgis du fond de la nuit ou d’un parking.
Faut-il encore rappeler que 80% des agresseurs sont connus des victimes, qu’ils sont des pères, des maris, des collègues de travail, des médecins, des enseignants et qu’ils violent dans la majorité des cas sans recours à la violence physique et au domicile de la victime? 
Persévérer dans l’ignorance de ces faits empêche effectivement de penser la réalité des violences sexuelles comme leur prévention.

Mais ce n’est pas de cela que Marcela Iacub nous parle. En pointant la deshumanisation des agresseurs sexuels, elle déplore en réalité que l’on ne sache pas reconnaître que la sexualité comporte nécessairement une part violente, puisqu’elle est dans la nature de l’homme. Et c’est bien pour cela d’ailleurs qu’elle préfère parler de déviances plutôt que de violences.

Une nature dont tout le monde semble comprendre de quoi il s’agit bien que personne ne sache d’où elle vient, qu’elle ne soit jamais explicitée, historicisée et toujours sortie de son contexte social.
Partant de là, la pénalisation des violeurs est le fruit amer d’une société policière qui n’a d’autre but que de contrôler notre sexualité.

Je n’ai manifestement pas fait la même lecture des commentaires qui ont suivi le meurtre de Merah. Certainement parce que nous ne sommes pas sensibles aux mêmes choses. Si je n’ai pas retenu que le tueur n’en restait pas moins un homme, c’est surement parce que cela coule de source.
Non, ce qui m’a intéressée c’est au contraire l’effort intellectuel qui a été produit ça et là pour tenter de saisir les actes terribles de Merah à partir de son parcours social. Une série d’épisodes tristes et humiliants, marqué par l’échec scolaire, la relégation, le racisme, un sentiment d’impuissance à construire un projet valorisant dans une société qui stigmatise les gens comme lui. Musulmans pauvres des banlieues.

C’est en cela que l’analyse était nécessaire. En montrant qu’en plus d’être un individu dominé par des pulsions de mort, Merah était aussi un agent social, déterminé par sa condition et nos représentations culturelles.
Et ce n’est qu’à partir de là qu’il devient possible de penser les conditions de production de la violence et de tenter d’y remédier.

C’est pareil pour les violences sexuelles. Elles s’opèrent sur un terrain sociétal que l’on ne peut ignorer. Pouvons nous faire l’impasse sur le fait statistique que 90% des violeurs sont des hommes. Et que les femmes sont très minoritaires à abuser sexuellement des enfants, même quand elles ont été elles-mêmes victimes d’abus dans l’enfance.
Et cela n’est en rien le fait d’une différence de nature entre les femmes et les hommes, mais plutôt de la manière dont la société nous désigne comme homme ou comme femme. C’est pourquoi, le patriarcat et ce qu’il véhicule comme représentation des sexualités masculine/conquérante et féminine/soumise, est une grille de lecture dont on ne peut se passer  pour comprendre les viols massifs.

Autrement dit, en continuant à réduire le débat sur les violences sexuelles à la nature humaine, l’essentialiste Marcela Iacub, empêche à son tour de penser les actions possibles contre leur perpétuation. Car contre la nature, que pouvons nous ?
Mais Marcela Iacub ne s’en tient pas là. Car non seulement, cette jouissance violente s’impose à nous, mais encore il convient qu’elle s’épanouisse en libérant la société de son moralisme.
Et ce n’est pas un hasard si, dans tous ses écrits,  le droit qu’elle revendique à la sexualité passe par la relativisation de la gravité des viols et des actes de pédophilie, par la défense de la prostitution comme liberté, et la libéralisation de l’accès à la pornographie[1]. Autant d’endroits où le corps des femmes est réduit à sa fonction d’objet sexuel.

Ce qui reste frappant chez Marcela Iacub c’est la confusion constante qu’elle entretient entre jouissance sexuelle et violence.
C’est qu’en réalité, dans son esprit, le droit à la sexualité doit être compris comme le droit de pouvoir aussi l’exercer indépendamment du consentement et du désir de l’autre[2]

Ainsi,  à propos des théories féministes qui, dans la mouvance de McKinnon, dénoncent le fait que dans une société patriarcale, les femmes ne sont jamais vraiment libres, en particulier sexuellement, Marcela Iacub écrit  « ces théories sont dupes de la fiction même qu’elles dénoncent, c’est à dire qu’elles veulent que le consentement soit un indice de la vraie liberté ».

Si le consentement n’est pas déterminant de la liberté sexuelle, on comprend alors pourquoi, dans de nombreux cas, pour Marcela Iacub, les viols n’en sont pas vraiment.

« On prétend fonder notre conviction que ce qui se passe dans les actes sexuels est très grave sur le fait que ceux qui en sont victimes sont traumatisés, mais on contribue à faire de la sexualité quelque chose de traumatisant en disant que c’est si grave (…) Ne devrait-on pas plutôt chercher à relativiser ce qui s’est passé, et surtout, surtout, séparer la souffrance de la victime du châtiment du coupable (…) C’est ici la justice elle-même qui produit le traumatisme dont elle prétend protéger ses humbles brebis »[3].

Et l’on croit lire ce célèbre masculiniste québécois, Yvon Dallaire, par ailleurs psychologue du couple et de la famille quand dans « Homme et fier de l’être »  il affirme  à propos des abus sexuels sur enfants : «  Encore un fois, la perception de la réalité, la fausse croyance en la vilenie des hommes et l'interprétation catastrophique des abus peuvent provoquer des réactions pires que la réalité de ces abus."(p.100)

Il ne reste donc plus qu’à taire les viols car en parler et les pénaliser causeraient plus de dommage aux victimes que les viols eux-mêmes.

Ce que l’on ne pourra pas reprocher à Marcela Iacub c’est d’être cohérente avec elle-même et de tirer les conclusions logiques, quoiqu’extrêmes, de ses positions. 
Car en vérité, tout discours naturaliste n’a pour d’autre résultat que le maintien des inégalités et des violences qui en découlent.


Numéro national pour toutes les victimes de viol et abus sexuels : 0800 05 95 95

Voir aussi, à ce propos, le blog de Sandrine Goldsmith, "A dire d'elles" 
http://sandrine70.wordpress.com/2012/04/10/crime-sexuel-suis-je-daccord-avec-marcela-iacub/

http://next.liberation.fr/chroniques/01012400973-et-si-le-crime-etait-sexuel









[1] Feignant au passage de croire que le porno et la prostitution sont injustement bridés alors qu’ils n’ont jamais été aussi accessibles, grâce à la mondialisation et internet.
[2] Antimanuel d’éducation sexuelle, Editions Bréal, 2005, pp.161.
[3] Ibib, pp.185-189