jeudi 22 mars 2012

Quand la justice viole le droit de dire non


Récemment en faisant le ménage…Dans mes alertes google, je suis tombée sur l’arrêt de la Cour d’appel du 3 mai 2011 concernant une procédure de divorce. 
Cet arrêt conclut aux torts exclusifs de l’époux, et condamne ce dernier au paiement de 10 000 euros de dommages-intérêts, au motif que depuis plusieurs années, il se refusait à sa femme.
Effroi !
Les juges ont écrit : « Il s'avère, en effet, que les attentes de l'épouse étaient légitimes dans la mesure où les rapports sexuels entre époux sont notamment l'expression de l'affection qu'ils se portent mutuellement, tandis qu'ils s'inscrivent dans la continuité des devoirs découlant du mariage ».

En faisant peser sur les époux une obligation à réaliser des actes dont l’essence même requiert un consentement libre et éclairé, les juges ont pris là une décision dont ils ne mesuraient sans doute pas les conséquences.

En effet, il n’y a aucune raison que cette jurisprudence qui concerne ici un homme, ne s’applique pas à une femme. Et si cette décision est aussi contestable dans un cas comme dans l’autre, il est évident qu’en l’état actuel des violences faites aux femmes, une lecture critique s’impose au-delà de l’affaire proprement dite.

Les juges ignorent sans doute que 75000 mille femmes sont violées par an en France, et que 30% le sont dans le cadre conjugal. A chaque nouvel acte imposé par son conjoint, une femme dit « non » sans être entendue. Et ce serait une faute.
Dans ce contexte, il ne faut pas être grand-e clerc pour mesurer le danger que représente une telle décision.

La plupart des viols conjugaux ont lieu sans recours à la violence. Pourquoi en faudrait-il dès lors? Bien que le viol conjugal soit reconnu comme un crime depuis 1994, on retrouve dans l’injonction au devoir conjugal, le parfait outillage psycho-social, pour contraindre les femmes sans en avoir l’air, tout en les culpabilisant. 
Il est pénalement interdit de les violer. Mais, coupables en cas de refus de sexe, elles devraient payer au civil des dommages intérêts.
Une véritable schizophrénie juridique qui n’est pas exempte de sadisme. Et dont la conséquence est de compenser la perte de pouvoir masculin impliquée par la pénalisation du viol conjugal, obtenue si récemment de haute lutte féministe.

On ne pourra alors plus s’étonner que seulement 10% des femmes violées  portent plainte et que seulement 2% de ces plaintes aboutissent à une condamnation.

Le fait que dans le cas présent il s’agisse d’un homme ne retire rien à l’affaire. Pire encore, cela contribue à renforcer l'illusion que les hommes sont autant victimes des femmes que l’inverse.

Pourtant tout démontre le contraire. Les chiffres  ressortant des enquêtes de victimation, comme des greffes des tribunaux, les numéros nationaux d’aides aux victimes qui ne désengorgent pas, font état d’un déséquilibre notoire des violences sexuelles au détriment des femmes. Les chiffres ne sont pas drôles quand ils dérangent. Ca s’appelle la domination masculine.

Et l’on voit bien, comment, à chaque combat remporté sur l’inégalité des sexes, celle-ci trouve encore le moyen de se perpétuer.

Pour mieux y parvenir, on a verrouillé l’obligation de soumission des femmes par l’obligation de virilité des hommes. Car c’est bien de cela au fond dont cet arrêt nous parle. Madame subit un préjudice du fait que Monsieur fait défaut.

Les hommes reçoivent depuis la nuit des temps ce commandement de montrer grand appétit sexuel et qui plus est de manifester une position dominante dans  les actes qui en découlent. Un mythe donc, mais qui dans les esprits a fini par s’imposer comme relevant de la nature même des hommes.
Critères à l’appui, comme autant de clous qu’on enfonce dans les têtes pour que ça tienne mieux. Longueur du pénis, largeur, vigueur de l’érection et quantité, valant mieux que désir et quête de plaisir partagé.

Dans ces conditions peu d’hommes savent s’affranchir de cette injonction de performance mécanique, inculquée dès le plus jeune âge à travers la vénération de leur pénis. Preuve en est que même si, en réalité,  beaucoup ne s’y retrouvent pas, la moindre panne n’en reste pas moins souvent un moment de honteuse contrition.
Car il n’est pas permis de décevoir la supériorité des hommes.

Vision archaïque s’il en est car il n’y a pas plus de sexualité masculine que de sexualité féminine. La réalité, chacun le sait, est bien plus complexe et multiple.

Vision terrible, absente de désir, de connivence, d’affection et de respect de l’autre.

Vision éminemment porteuse de violence que cette dissociation des sexes qui trouve encore aujourd’hui tant de relais parmi les thuriféraires de la pulsion sexuelle masculine et de sa nature prédatrice.


Mais cette décision de justice ne s’arrête pas là.

En tarifant le non désir de sexe, elle nous rappelle qu’à l’autre bout de la chaine, des millions de femmes sont obligées de vendre leurs corps pour vivre. Et que l’opinion commune s’en accommode car il faut bien que le corps des hommes exultent.

Qu’il s’agisse de viol conjugal ou de prostitution, le consentement n’est pas de mise. L’impératif masculin prime. Les femmes, privées de leur liberté, ne sont plus qu’objets.

Pourtant, dans un monde où l’on inculquerait que la sexualité est un chemin différent pour chacun, qui dépend de son désir et de sa liberté, on peut  parier que hommes et femmes jouiraient davantage ! Et le viol ne serait plus qu’un phénomène marginal, une exception psychiatrique.

En se faisant la gardienne du sexe sous contrainte, cette décision de justice se rend purement et simplement complice des violences faites aux femmes, et démontre, si besoin en était, que le viol est social.




SOS Viols Femmes Informations 0 800 05 95 95
La maison des femmes de Paris, groupe de parole viol 01 43 43 41 13