En sortant de la projection du dernier
film de Claire SIMON, un silence assez inhabituel que déchire çà et là un « c’est bouleversant »,
une forme d’unanimité bouche bée, le reste des mots piégés dans des gorges
tendues, des bides noués, des regards encore embués des larmes versées.
Le film qui nous plonge au cœur
d’un service hospitalier dédié aux femmes au sein de l’Hôpital Tenon à Paris, entre
consultations médicales et immersions chirurgicales, met en scène l’espoir tourmenté
de donner la vie, les miracles microscopiques de la procréation assistée, les
empêchements et la souffrance de l’endométriose, l’intensité de l’enfantement, l’amputation
des seins ou des organes génitaux atteints de cancer, la mort. Autant de moments
bouleversants que le temps du film donne à éprouver profondément.
Un film qui fait cinéma par les
grandes émotions qu’il suscite et la beauté des images, et qui documente comme
jamais l’acte médical, dans sa précision, sa sophistication, sa dextérité. Il y
est montré comme héroïque et spectaculaire dans ce chemin de résistance qu’il
se fraye entre la vie et la mort.
Le prisme médical avec lequel
tous ces moments de vie cruciaux sont magnifiés, impressionne par le savoir qui
le précède et la sophistication technologique qui le met en œuvre face au
désordre tragique des corps.
Moi aussi, je suis bouleversée, au
fil de séquences choc, intrusives aussi lorsqu’elle filme à plusieurs reprises la
vulve des femmes, sans que cela apparaisse nécessaire.
Je suis bouleversée par ce que je
découvre entre les jambes de ces femmes, à l’intérieur de leur utérus, sur la
cicatrice d’un sein qui n’est plus, la force sidérée de cette jeune femme qui
apprend un cancer avancé de l’ensemble de ses organes génitaux et qu’elle ne
pourra jamais avoir d’enfant, le rire cabotin d’une autre à qui ont les
retirent, la beauté douce d’une vieille femme prête à partir tenant la main de
son oncologue.
Je veux rendre un profond hommage
à la sincérité et la générosité des femmes qui offrent à Claire Simon ce qui
fait la beauté de ce film en faisant confiance à son regard, alors qu’elles
traversent, dénudées, des instants de particulière vulnérabilité.
Comment leur a-t-elle présenté
les choses pour qu’elles consentent à livrer cette part si intime d’elles-mêmes ?
Quels ont été ses mots ?
Ont-elles discuté ? Ont-elles pu partager leurs enjeux ? Qu’a-t-elle dit
de ses choix ?
Nous sentons nous d’ailleurs
autorisé.es à interroger ses choix, alors que Claire SIMON fait elle-même
communion avec le chœur des femmes en se filmant lors de l’annonce de son
cancer ? Un mélange de respect et de pudeur semble s’imposer, et avec lui
ce silence que j’évoquais.
Et pourtant… le hors champ de ce
film, et son contexte que j’ai découvert après la projection, rend le silence
intenable.
Deux femmes, à des moments
distincts du film, disent ce qu’elles ont compris de la démarche : « c’est
important que les gens voient ».
Mais que faut-il que les gens voient ?
Que les femmes sont entre de bonnes mains. Que la médecine est fascinante,
sauvent des vies et réparent des corps. C’est vrai.
Il est une évidence que la
médicalisation en particulier de la procréation et de l’accouchement ont permis
à des femmes, des couples, de devenir parents, ont fortement réduit le taux de
mortalité des femmes en couche et des nouveau-nés et permettent de surmonter
les complications qui accompagnent la grossesse et la mise au monde. Car la
grossesse et l’accouchement se passent rarement de difficultés, et demeurent toujours
risqués pour la vie des femmes et des enfants, pour des raisons d’ailleurs qui
ne relèvent pas seulement d’un fait naturel.
C’est tout le propos du
film : rendre hommage au geste médical. Claire SIMON le dit très
clairement dans tous ces interviews.
Mais il est aussi une évidence
que ce geste n’est pas sans poser de graves problèmes et tout particulièrement
dans le domaine dédié aux femmes, de l’obstétrique et de la gynécologie.
La reprise en main par les
hommes-obstétriciens du savoir-faire des femmes-accoucheuses, l’impossibilité
pour la majorité des femmes de pouvoir choisir les conditions de leur
accouchement, les effets pervers de la surmédicalisation ont été documentés
depuis des décennies. Plus récemment, les violences obstétricales et
gynécologiques (V.O.G.) dénoncées par les luttes féministes qui se font
courageusement l’écho d’une maltraitance massive et systémique, ont fini par
attirer l’attention de l’OMS, du Conseil de l’Europe ou de HCE. Car
l’enfantement est en réalité si souvent violenté, malmené, abîmé quand il n’est
pas purement dérobé aux femmes.
De tout ce mouvement, d’autant
plus nécessaire qu’il touche à l’intégrité des corps et à l’identité des
femmes, ce film fait un hors champ.
Et même lorsque dans son film, affleurent,
malgré tout, les violences, en réalité, Claire SIMON ne les filme tout
simplement pas.
Lors d’une césarienne, elle ne
filme pas une femme dont les bras sont attachés en croix, mais remplit l’image
du jet du liquide amniotique signant l’irruption soudaine de la vie.
« C’est bouleversant ».
Lorsqu’elle écoute une jeune mère
choquée après les mots durs du médecin durant l’accouchement, elle ne filme pas
sa légitime détresse, et la laisse bien seule face à sa culpabilité d’avoir été
sans doute trop « animale ».
J’entends dire que « ce
n’est pas son sujet ». Effectivement. Et la lutte contre les VOG se fera
sans Claire SIMON.
Mais cela devient bien son sujet lorsqu’on
découvre après la projection puisque le film n’en dit rien, que le service dans
lequel Claire SIMON a choisi de planter sa caméra est celui du professeur
Daraï, gynécologue, dont les pratiques brutales et intrusives ont été dénoncées
par nombre d’étudiants et patientes dès 2017. Pire ! Que durant le tournage
du film, ce dernier a été mis en examen à la suite des plaintes de 32 patientes
pour des faits de viol, de maltraitance et de sexisme.
On comprend alors que le film
réduit à un brutal silence la souffrance et la lutte des plaignantes tout en
célébrant le médecin qu’elles mettent en cause.
Et ce ne sont pas les quelques
plans d’une manifestation contre les VOG, devant l’hôpital, totalement
décontextualisée et hors sol, filmée sans plus d’intention (« parce
qu’elle était là » dit-elle dans Télérama) qui peuvent servir ici de
caution.
Dans la séquence où elle filme l’opération
d’une endométriose, Claire SIMON nous invite donc à nous émerveiller d’un geste
médical sans nous dire que celui qui le pratique est accusé de violences
particulièrement graves. « C’est bouleversant ! »
Autant de lumière et tant de
silences très opportuns pour le Professeur Daraï, dont on se demande comment il
a accueilli l’équipe de tournage, entièrement disposée à rendre justice à son
génie et à sa bienveillance. « C’est bouleversant ».
Comment a-t-il perçu la confiance
que les patientes filmées accordent à la caméra ?
Ces femmes si pleines de hauteurs
humaines, auraient-elle offert leur âme au film, si elles avaient su que
leur beauté couvrirait ces silences ?
Le Hors champ du film de Claire
SIMON ne peut être un oubli, ou de l’ignorance, alors que « l’affaire
Daraï » la précède au sein du service et se prolonge durant le tournage.
Faut-il en conclure qu’il s’est
agi d’occulter une part signifiante de la réalité du service qu’elle filme et
qui parle de violences ? Cela me laisse sans voix à la fois parce que
c’est sidérant et aussi parce que Claire SIMON donne beaucoup d’elle-même dans
cette entreprise.
Dès lors que Daraï est mis en
examen, laisser le film sur son chemin sans en dévier le cours, pose selon moi une
question éthique majeure, à l’égard des femmes filmées et des victimes, comme
du public en général, ignorant du contexte et bercé par la beauté du geste.
Quand j’y pense, c’est la gorge tendue, le bide noué, l’œil embué, mais d’une
autre émotion, car si le film est remarquable, sa démarche se dérobe et laisse
dans l’effroi.
C’est pourquoi au concert de
louanges qui accompagnent ce film et sa démarche, je tenais à associer ma voix
de soutien et de solidarité aux femmes victimes de VOG, dont je suis, et à toutes
celles qui luttent aujourd’hui pour dénoncer ces violences, humaniser la prise
en charge médicale des femmes, les restaurer dans leur intégrité et leur autonomie.
Désigner le hors champ de ce film
fait partie de la lutte et de l’indignation. Aux silences, opposer le vacarme
de nos cris. Les cris de Nos corps.
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